Tissage libertaire

L’autonomie matérielle et politique comme pilier des luttes écologiques et sociales

Réflexion personnelle sur l’engagement

1. La plus grande menace que l’humanité ait jamais connue

Le capitalisme est un système économique basé sur l’accaparement privé des moyens de production et sur l’accumulation de profits. Le monde entier fonctionne aujourd’hui sur ce principe. Tout est achetable et marchandable. Les terres, les biens de subsistance, les animaux, et même les humains.

Cette recherche sans limite du profit a permis de déployer énormément d’effort dans la recherche technique et technologique, entraînant une augmentation graduelle et considérable du confort de vie pour une partie de la population.

Malgré cela, le capitalisme a des conséquences dramatiques et mortifères. Il implique l’exploitation de la majorité des êtres humains pour le confort d’une minorité. Il entretient donc structurellement un système de domination social et économique, ainsi qu’un système de compétition dévastateur, occasionnant entre autres une destruction sans précédent de la nature et de l’ensemble du monde vivant sur Terre, nous mettant tous et toutes en danger de mort à moyen terme.

Il est structurellement impossible d’éliminer complètement les dominations sociales (et de stopper l’écocide en cours) sans sortir du système capitaliste, car elles sont intrinsèques à son fonctionnement.

2. Nous sommes aujourd’hui sous perfusion d’un système qui nous détruit

Si le capitalisme nous tue, alors tuons le capitalisme ?
Oui, mais ce n’est pas si simple.

Au début du XIXᵉ siècle, le capitalisme à changé. Il s’est industrialisé. On parle depuis de capitalisme industriel. En plus de démultiplier les ravages de l’humain sur la nature, il a donné naissance à ce qu’on appelle « la division du travail » : une sur-spécialisation de chacun et chacune, pour optimiser l’acquisition de savoirs spécifiques et la productivité globale, éliminant les savoirs non-marchandables.

La division du travail a créé des personnes très compétentes sur des sujets très précis, mais inaptes sur tout le reste, nous laissant collectivement vulnérables au moindre grain de sable dans la machine.

En nous apportant confort et délivrance des corvées du quotidien, le capitalisme industriel nous a aliénés à son existence. Nous ne savons plus comment vivre sans lui.

Nous ne savons plus nous passer des supermarchés, de la voiture, de l’agroalimentaire, de l’industrie du textile, ou de l’industrie du BTP. La liste est malheureusement très longue. Et il est difficile aujourd’hui de penser vivre dans un monde sans capitalisme industriel, tant celui-ci a infiltré nos existences.

Pourtant, cette aliénation totale est très récente. Il était en effet encore possible en Europe de s’organiser localement pour subvenir à tous ses besoins jusque dans les années 50, sans dépendre de qui que ce soit à l’autre bout du monde. C’était un mode de vie simple, plus dur certes, mais nous étions plus libres politiquement : Nous pouvions décider comment vivre notre vie et encore envisager un futur enviable.

Au-delà de l’autonomie matérielle, la proximité et la sobriété de la production technologique permettaient l’existence d’un monde encore viable écologiquement, où les inégalités économiques et sociales, bien qu’extrêmement présentes n’étaient pas un rouage nécessaire et entretenu administrativement par le pouvoir pour le bon fonctionnement du système, comme c’est le cas depuis l’émergence du monde industriel. Personne ne rêve de travailler à l’usine ou d’être éboueur. Pourtant il faut bien qu’une majorité d’entre nous se charge de ces corvées, sans quoi le système entier s’effondre.

Il ne s’agit pas de dire qu’un retour total en arrière est souhaitable. Il s’agit de questionner le mythe du « progrès » et de comprendre qu’il est très loin d’être aussi bénéfique qu’on le croit.

3. Réapprendre l’autonomie

Le capitalisme industriel nous tue. Pourtant, nous n’avons pas le choix actuellement que de l’entretenir. C’est un suicide collectif et systémique. Et pour nous en débarrasser nous n’avons pas beaucoup de solutions. Les luttes sociales et écologiques en ont une, mais elles ne sont que partiellement utiles sans un travail parallèle pour la réappropriation collective de nos moyens de subsistance.

S’agit il pour autant de revenir à la bougie ? De tout quitter pour aller vivre seul•e de sa plantation de patates dans la Creuse ?

Et bien…oui et non. C’est en réalité beaucoup plus vaste que ça.

Agir pour l’autonomie, c’est tendre vers une sobriété systémique, organisée en archipels de collectifs résiliant, qui peuvent s’agencer en parallèle des luttes.

Ça veut dire :

  • Reprendre le pouvoir sur notre alimentation locale.
  • Se réapproprier et développer collectivement des savoirs d’antan (culture, soin, artisanat, etc).
  • Entretenir les liens et l’entraide dans la vie locale (autogestion, accueil inconditionnel et déconstruction permanente).
  • Développer l’usage des low-tech et réduire drastiquement notre dépendance aux high-tech.
  • Protéger les initiatives de subsistances locales déjà existantes (GAEC, fermes, maraîchers, etc).
  • Travailler à l’accessibilité des savoirs à travers l’éducation populaire.
  • Lutter pour la reprise collective des terres privatisées.

Et ça s’accompagne de nombreux avantages :

  • Moins de besoins financiers.
  • Plus de liberté et moins d’inégalités.
  • Moins de participation obligatoire au système industriel, donc plus d’écologie réelle.
  • Plus de solidarité systémique par le nécessaire entretien des liens.
  • Plus de décroissance systémique
  • Plus de résilience collective aux chocs inéluctables (inflations, pénuries, épidémies, etc).
  • Plus de temps de grève possible de par la réduction de besoins financiers.
  • Plus d’oasis de survie pour les plus précaires maltraité•e•s par le capitalisme industriel.
  • Plus de temps pour s’impliquer dans la vie politique (luttes sociales/écologiques, et vie locale).

Il ne s’agit pas de supprimer toute forme de technologie jusqu’à revenir à l’âge de pierre, mais de réduire drastiquement nos dépendances à celles-ci pour retrouver collectivement plus de liberté dans nos vies, entraînant conséquemment plus d’écologie réelle.

4. Conclusion

L’autonomie politique et les luttes doivent fonctionner mains dans la main. En plus de contribuer à renforcer la résilience locale, les archipels autonomes peuvent devenir de puissantes bases arrières de soutien pour les personnes qui agissent et mettent leurs vies personnelles et professionnelles en danger pour la préservation du bien commun et de la vie.

Enfin, il faut noter qu’un important travail d’autonomisation local peut aussi favoriser la résilience de la population, dans les différents rapports de forces que l’état lui impose, dans sa quête continue de destruction écologique et sociale.


Références

Terre et Liberté – Aurélien Berlan
Réappropriation – Bertrand Louart
Au Commencement était – David Wengrow & David Graeber
Hors série Socialter « ces terres qui se défendent »
Hors série Socialter « comment nous pourrions vivre »

Tissage libertaire – CC